En fin pédagogue, Karine Margron fustige, une pointe de tristesse dans le ton, l’invasion des nouveaux rythmes étrangers : pop, RnB, rap et reggae. Elle déplore la facilité trop flagrante qu’offre la technologie qui nous bombarde de musiques synthétiques. Elle propose, projection et exemples musicaux à l’appui, des outils aptes à préserver nos chansons dans leur originalité et leur authenticité.
Honorée de la présence de la ministre de la Culture, Monique Rocourt, de la chanteuse classique Jamie Cartright et d’Erol Josué, directeur du Bureau national d’Ethnologie, la chercheuse était en conférence, mercredi 27 août, à la Bibilotghèque nationale d’Haïti dans le cadre d’un partenariat avec l’Ecole nationale des arts (Enarts).
Comment définit-elle le patrimoine ? « Creuset de la diversité culturelle dont la préservation est le garant de la créativité permanente de l’homme. » Cette définition, proposée par l’Unesco, prétexte sa mise en mémoire de nos chansons originales en les préservant des déformations et des mélanges des rythmes sous l’effet de l’acculturation, expliquée par l’impérialisme culturel des Nord-Américains.
Les jeunes, trop enclins à créer librement dans des styles qui ne trahissent pas leur époque, ne disposent pas de matériels didactiques qui leur permettraient de conserver les chansons folkloriques, populaires, religieuses, traditionnelles et classiques dans leur version originale.
Karine Margron plaide pour la production de matériels didactiques. Aux côtés du mentor Julio Racine, compositeur et flûtiste, elle écrit des partitions, met en page des recueils et s’adonne à l’interprétation des mélodies. Julio Racine, lui, fait des arrangements simples pour guitare, et d’autres plus complexes et inédits pour voix et piano. Elle part de ses observations, d’un cadre empirique et reçoit les informations à l’état brut pour les inscrire, ensuite, dans un cadre purement théorique et pédagogique. Son travail comporte un triple aspect : elle recherche et compile, formalise et édite, publie et divulgue.
Ainsi est né son projet « Chansons d’Haïti », recueil de chansons haïtiennes en partitions écrites qu’elle propose au monde académique et aux universités, qu’elle veut rendre accessible en Haïti comme à l’étranger. Ce matériel s’adressant aux écoles –publiques ou privées– de musique, à tous les jeunes débutants en musique, est accompagné d’un CD. Il comporte des chansons écrites, des retranscriptions. Il est consacré à l’harmonisation, à l’écriture musicale, etc.
Les trois premiers recueils de « Chansons d’Haïti », déjà soumis à un public cible et distribués gratuitement aux écoles de musique, contiennent au total 40 chansons et 9 mélodies folkloriques. Premier volume : 20 chansons pour voix et accords. Deuxième volume : 20 chansons pour voix et accords (3 000 exemplaires). Troisième volume: 9 mélodies folkloriques pour voix et piano (1 000 exemplaires avec CD de démonstration incorporé). La publication des volumes 4 (16 mélodies pour voix et piano) et 5 (spécial Raoul Guillaume : 10 mélodies pour voix et accords) est projeté pour novembre 2014.
Elle aurait tort de jeter dans l’ombre cette belle palette de musicologues valables et minutieux qui ont, depuis les années 1930, tracé le chemin. Elle les salue au cours de son allocution : René Victor, Werner Jeagerhuber, Lina Mathon Blanchet, Ferère Laguerre, Michel Déjean, Guerdes Fleurant et Claude Dauphin, auteur de « Histoire du style musical d’Haïti », « ouvrage le plus considérable qui ait jamais été écrit sur la musique haïtienne et sur la diversité de ses pratiques », reconnaît aussi la conférencière.
En février 2015, un concert de levée de fonds au bénéfice d’Haïti aura lieu, sous l’impulsion de la conférencière, à l’ambassade d’Haïti à Washington pour l’achat et le transport de quatre pianos pour une école de musique à Jacmel. Elle sera reçue, en avril de l’an prochain, à Hambourg, en Allemagne, où elle prononcera une «conférence-chanson » pour parler de son projet « Chansons d’Haïti ».
La directrice de la BNH, Emmelie Prophète, salue cet effort de Karine Margron de donner au savoir musical haïtien du « contenu ». La ministre Rocourt, dans des propos fort religieux, confie que le travail de Karine est un héritage pour la postérité. « Ça doit s’inscrire dans notre patrimoine immatériel », lâche-t-elle.
Et Philippe Dodard de conclure : « Karine Margron, plus qu’une chanteuse, est un événement. »
(Article de Le Nouvelliste écrit par Rosny Ladouceur, publié le 3 septembre 2014)
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